ERBRAY A VOL D’OISEAU de l'abbé Jacques Cotteux
(Imprimerie D. Piquet, Châteaubriant, 1891)
Notre populeuse commune d’Erbray doit évidemment son nom à l'abondance et à la supériorité des futaies de son territoire. Entre le mot latin arbor qui veut dire arbre et le mot Arbré qui est marqué dans les vieux titres comme l'orthographe primitive de notre Erbray actuel, l’analogie est incontestable. Donnez-vous, au printemps, le plaisir d'une excursion sur le plateau de Beauchêne, à quelques pas du grand village de la Touche, votre regard émerveillé par le verdoyant océan de feuillage que le panorama de la vallée déroule aux pieds du touriste vous enlèvera l’ombre d'un doute sur l'exactitude de mon étymologie.
Vous aurez contemplé du reste, le plus beau point de vue, sans comparaison, des alentours de Châteaubriant : un point de vue qui n'a de rivaux dans l'Arrondissement qu'en ceux du Mont - Juillet, près des Touches et de Petit - Mars, sur les bords de l'Erdre.
Il est impossible de supputer le nombre des générations végétales qui, depuis que le monde est monde, ont élevé en Erbray leurs hautes tiges ; y ont fait ramifier, comme à plaisir leur majestueux branchage ; y ont été, sous le dôme d'une verdure sans cesse renaissante, les témoins silencieux du bourdonnement des insectes, du chant des oiseaux, de la voltige capricieuse des brillants papillons des bois..
Pour le commun des, esprits, la plus intéressante observation que l'on puisse, faire sur les temps antérieurs à la présence de l'homme en ces lieux, c'est que chaque hiver augmentait alors régulièrement d'une nouvelle couche de feuilles, mortes l'épaisseur et la fécondité de l'humus où les chaleurs de l'été font aujourd'hui mûrir et jaunir les moissons qui apportent au foyer des laboureurs la récompense d'un travail incessant et la joie d'une aisance en rapport avec des besoins sagement modérés.
A quelle époque le pied des humains a-t-il marqué sa première empreinte sur cette terre ? A quelle époque la main de l’ouvrier s'y est-elle armée d'un outil pour bécher la terre, creuser un trou, abattre un chêne, tuer une bête fauve ou exploiter d'une manière quelconque les richesses du sol ?
C'est ce qu'on ne saurait affirmer avec précision. Mais il est bien probable que dès le temps des Gaulois, les minières de la Ferrière et de la Feuvrais avaient attiré l'attention, à cause de la facilité que la fabrication du fer, familière aux premiers hommes, d'après la Bible et d'après l’histoire, trouvait dans les dépôts calcaires de la contrée.
Il est bien à croire que ce calcaire et cette castine, substances précieuses pour la fusion des métaux, pour l'agriculture, pour la construction, pour les industries diverses, n'avaient pas échappé à l'œil investigateur des Druides. Ne sait-on pas, d'après le témoignage des auteurs profanes, à quel degré de perfection la connaissance des produits du sol, la recherche attentive des secrets de la nature, étaient parvenues chez ces ministres d'un culte mi-partie hébraïque, en quelque sorte, et mi-partie païen ?
Il est bien évident que, pour mettre à profit le triomphe éclatant du grand César sur l'indépendance gauloise, l'administration romaine, si habile à tirer parti de toutes les ressources des pays et des peuples qu'elle avait domptés, se sera gardée avec soin de négliger des richesses minérales et forestières aussi remarquables que celles qui forment le fonds territorial d'Erbray. Dans sa domination de cinq siècles sur la région qu'arrosent la basse Loire, la Vilaine et les moindres ruisseaux tributaires de ces deux fleuves, les proconsuls et les curiales s'appliquèrent donc à développer la mise en rapport des bassins si parfaitement approvisionnés par le cours des siècles. Des restes de galeries minéralurgiques où se sont égarés, plusieurs fois, d'imprudents investigateurs, deux ou trois médailles et quelques fragments de poterie de cette époque, sauvés des invasions et des dévastations qui piétinèrent l'ancien monde suffisent à le démontrer. Au reste, c'est un fait que de nouvelles découvertes archéologiques viennent corroborer tous les jours.
Au sortir des tempêtes du IX° et du X° siècle, nous trouvons le christianisme solidement établi ou restauré à Erbray. Les chartes monastiques de Melleray et de Saint-Florent nous y révèlent une paroisse florissante dédiée à St Martin de Tours, l'apôtre de nos campagnes occidentales, le destructeur du druidisme, le promoteur infatigable des institutions monastiques appelées par la Providence à la transformation spirituelle de nos rudes populations rurales, aussi bien qu'au défrichement des halliers et des landes qui avaient, à la suite des désordres sociaux, repris à la culture les terrains dont une première civilisation les avait expulsés.
C'est le temps de la réorganisation de notre Bretagne, sous les successeurs des Alain Barbe-Torte et des Alain le Grand, telle que l'a très lucidement exposée M. Arthur de la Borderie dans son Essai sur la Géographie féodale de la Bretagne.
C'est l'époque de Ruellan d'Erbray, contemporain des Brient, des Le Bœuf, des Bonabes, des. Auffroy et sans doute, constructeur, à leur exemple, de ce fameux châtellier d'Erbray dont les douves colossales, les talus élevés, ressemblent trop aux monuments du même genre que nous trouvons dans les châteaux de Beauregard en Louisfert ; du Buron en Issé ; de St-Clair en .Derval ; de Domnèche en Lusanger ; du Bé en Nozay; de Teillay en Ille-et-Vilaine, etc., etc., pour ne pas appartenir au plan de défense et de fortification si savamment décrit dans ses lignes principales par M. de la Bordererie.
En ces mêmes jours, les grandes Chroniques de l'histoire de France signalent partout l'épanouissement de la foi chrétienne et l'amélioration du progrès social chez nos aïeux. Elles nous montrent dans toutes les provinces les populations sortant de l'étroite enceinte des palissades et remparts agrestes qui avaient abrité l'existence précaire dos générations antérieures contre les calamités multiples de l'anarchie carlovingienne et les dévastations de la piraterie normande.
A la lueur sereine de l'espérance en des temps meilleurs, ces populations se reconnaissent et reprennent courage. La vertu de l'évangile a fini par pénétrer profondément les âmes, par apporter à tous : consolation, joie et réconfort.
Voilà que les cœurs s'éprennent d'enthousiasme et que la restauration s'inaugure. Voilà que les déserts se peuplent, que les bois s'éclaircissent, que mille foyers s'y allument.
Cependant des hameaux, des monastères, des villages, apparaissent çà et là pour se développer, parfois avec rapidité, parfois bien laborieusement, bien lentement, dans une lutte héroïque contre la cupidité, la haine et la jalousie conjurées.
Le souvenir et les vestiges de ces premiers travaux subsistent parfaitement à Erbray. En maint endroit, on y rencontre la trace des petites colonies d'artisans et de cénobites qui ont desséché les marais, nettoyé les cours d'eau, construit des chaussées et créé des étangs, comme à la Touche et au Chêne-au Borgne par exemple ; fondé des ateliers, comme à la Ferronnière; à la Feuvrais, à la Ridelais ; aux Landelles; défriché les champs, comme à la Franchetière (la terre affranchie) ; installé des troupeaux, comme à la Bergeaudais (la Bergerie); associé ensemble la psalmodie, l'ascétisme et les œuvres de charité, comme à l'Abbaye, à St-James, à la Magdeleine, au Bourg, où des moines de Marmoutiers, confrères de ceux de St-Jean-de-Béré et de Sion, étaient chargés tout à la fois du service du culte, du soin des lépreux, de l'enseignement, par la persuasion et l'exemple, des meilleurs procédés pour la culture de la vigne, du blé, des arbres fruitiers; pour le jardinage, l'éducation des abeilles, la profession des arts mécaniques, la lecture, l'écriture, le chant liturgique, etc., etc.
Le caractère le plus spécial qui me paraisse appartenir à la population d'Erbray, c'est le nombre relativement considérable des villages qui ont emprunté leur nom à de vieilles familles indigènes, toujours existantes et florissantes en cette commune. Vous y trouvez la Rabouësnellière, la Ménardière, la Faisantière, la Rousselière, la Bucquetière, la Bricardière, la Ri1ardière, la Rouxière, la Roulière, etc., etc., berceaux évidents des Rabouësnel, des Ménard, des Faisant, des Roussel, des Bucquet, des Rilard, des Roux et des Roul, etc., etc Le nom des Vignal n'a rien de moins significatif dans une contrée où le yin se récoltait jadis, comme aujourd'hui s'y récolte le cidre.
Ce qui prouve que cette bonne population est constamment demeurée fidèle à ses foyers, c'est la permanence des fermages conservés de génération en génération dans la même lignée. La Morivière (Mare-et-Rivière) et .la Cour-Péan, par exemple, sont depuis plusieurs siècles habitées et cultivées par l'honorable famille des Allot. A la Franchetière, l'état de lieu de première prise de possession des Rabouësnel date de plus de cent trente ans.
Une autre famille d'Erbray, éteinte en notre arrondissement depuis quelques années, mais subsistante encore dans la Loire - Inférieure, c’est la famille Guibourd, éminemment personnifiée dans le Sénateur, maire actuel de Nantes. M. Guibourd de Luzinais.
Aux termes d'un titre sur parchemin que j'ai vu plusieurs fois, un Guibourd d'Erbray était qualifié de bourgeois, dès l'an 1360. La vieille métairie de la Bourgeoisie, située près de Beauchêne, pourrait bien être une réminiscence de cette qualification. Feu M., Jules de la Pilorgerie regardait le parchemin en question, comme le plus ancien titre de ce genre qui concernât notre antique baronnie de Châteaubriant. La famille Guibourd a fourni quatre ou cinq recteurs à la paroisse d'Erbray et à notre chef-lieu d'arrondissement l'un de ses juges les plus judicieux, en même temps que l'un des hommes les plus versés du pays dans l'étude des antiquités locales. Ce serait presque offenser le patriotisme des habitants d'Erbray que d'omettre ici la mention de M. Fr. Roul, riche et influent négociant de Bordeaux, où son intelligence et sa probité lui valurent un mandat de représentant à la chambre des Députés, sous les règnes de Charles X et de Louis-Philippe. M. Roul qui s'honorait de sa naissance et de son baptême à Erbray, vers 1790, et qui se vit à la veille de devenir membre de la Chambre des Pairs, a doté d'une rente annuelle de douze cents francs le bureau de bienfaisance de son bourg natal. La chapelle de la Vierge, en l'église paroissiale, lui doit son autel en marbre blanc. Ses nombreux neveux sont justement fiers d'un tel oncle. Quant à la commune d'Erbray, c'est avec raison qu'elle s'honore aussi d'avoir donné le jour à cet excellent citoyen.
Si bref que le doive être cet aperçu, il est impossible d'y passer sous silence Jacques de Kerboudel, seigneur de la Cour-Péan et gouverneur de Châteaubriant, lors des guerres de la Ligue en Bretagne, à la fin du XVI° siècle (1590-1597).
Kerboudel lutta pour le triomphe de ses idées religieuses et politiques avec un entier dévouement à la cause catholique représentée par Mercœur. Son énergie tint tête au fanatisme des : La Chapelle, seigneurs protestants de la Roche-Giffard et de Sion, aux Rohan de Blain, et à presque toute la noblesse locale passée à l'hérésie. Dans une lutte tour à tour offensive et défensive, il entreprit et soutint le siège de la plupart des vieux châteaux fortifiés qui environnaient la ville et le donjon dont la garde lui avait été confiée C'est ainsi que Beauregard en Louisfert ; le Buron en Issé ; la Hée en Villepôt; la Jounière, alors en Martigné, aujourd'hui en Fercé; la Garenne en Soudan; le Rouvre, eu Rugé ; le Châtellier, en Erbray ; le Bélouard ou Boulevard, au sommet du plateau de Beauchêne, à courte distance du manoir de la Cour-Péan, étaient devenus des points de ralliement pour les soutiens de la cause de Henri IV, toujours considéré comme hérétique, puisque le pape se refusait obstinément à l'absoudre, ne croyant pas à la sincérité d'une abjuration que le Béarnais, relaps, avait une première fois violée. De là aussi, dans le langage et les traditions populaires la qualification dérisoire de huguenoterie appliquée, de nos jours, aux constructions féodales toutes délabrées qui avaient, au moyen-âge, servi de refuge aux populations, durant les périodes agitées, et de défense à notre région, durant les guerres entre la Bretagne et la France.
Quoi qu'il en soit, Kerboudel en prit un grand nombre et rendit un vrai service par son entraînement impitoyable à raser ces repaires de la guerre civile, foyers de ravages et de pilleries pour le pauvre peuple. La mort de ce gouverneur de Châteaubriant fut tragique. Il fut assassiné, par trahison, au mois d'avril 1597, à la suite d’un coup de main qui fit rentrer Châteaubriant sous le drapeau de Henri IV, réconcilié enfin avec l'Eglise catholique et son Chef, par la sincérité bien démontrée et bien acceptée de sa conversion.
Ne quittons pas cet épisode de nos tristes guerres de religion sans rendre hommage aux vertueux prêtres qui surent en ces conjectures critiques, préserver la foi de leurs ouailles des séductions de l'erreur et faire éviter au troupeau qu'ils avaient en garde les excès de la sauvagerie et de la violence. Les archives communales d'Erbray contiennent la collection des registres paroissiaux rédigés et calligraphiés avec soin, à partir de l'année 1561, pour les baptêmes ; de l'année 1565, pour les mariages. Tout y respire la placidité d'une administration régulière que rien d'extérieur ne vient troubler. Ce n'est pas sans émotion que je les ai parcourus.
Parmi les signataires de ces actes, les noms de messires Julien et Guillaume Guibourd, Aubin Binot, Jean Allemand, Pierre Perron, Philippe Angot, Joseph Glédol, etc., recteurs successifs ; ceux de Jean Augeard, prêtre des Landelles; Jean Jehanneaux, prêtre de la chapelle de la Feuvrais; Mathurin Deluen, qui mourut de la peste; Ambroise Pitrault; Etienne Vignal, prêtre du village de Beauchène ; Julien et Jean Bioret; Mathurin Brégeaud et Jean Brégeaud, vicaires; Jean Harrouin, prêtre du village de la Cantrais; Julien Poupart, diacre de la Mongonnais; Julien Freulet, prêtre du vi11age du Châtellier; Jean Rolland, prêtre du village de la Bucquetière; Julien Bouteiller, prêtre des Garellières; Julien Gaudin, prêtre du village de la Haute-Haye; Pierre Guibourd; Mathurin Barbier; Jean Hogrel, chapelain de la Morivière; Ambroise Guibourd, qui mourut âgé de quatre-vingt-cinq ans; Jean Guibourd; Ambroise Hinry, décédé au bourg; Etienne Besnier et un autre Ambroise Hinry qui mourut également au bourg, âgé de soixante-cinq ans: tous ces noms montrent l'étroit degré de parenté qui unissait aux membres du bercail les pasteurs chargés de sa conduite. Il est impossible de ne pas être frappé de cette circonstance ; elle dut contribuer beaucoup à la conservation de la foi et des mœurs.
La dissémination de ces bons vieillards sur les divers points d'un territoire trop étendu pour rendre facilement praticable aux infirmes et aux enfants l'accès de l'église paroissiale, surtout en hiver, par des chemins profondément défoncés ; cette dissémination providentielle, due à la fondation pie d'un grand nombre de petites chapelles, filles de l'église-mère, permettait à chacun l'accomplissement et la pratique de ses devoirs de chrétien, matière sur laquelle on transigeait alors fort peu. En même temps que l'enseignement des choses les plus élémentaires, c'est le . bon exemple que donnaient autour d'eux, par leur existence laborieuse et frugale, ces hommes de Dieu, aussi mortifiés que des moines, aussi pauvres, le plus souvent, que les laboureurs et les journaliers au milieu desquels s'écoulaient tranquillement leurs jours. Ils avaient, du reste, emprunté ce genre de vie aux anachorètes que les grandes réformes de Robert d'Arbrissel avaient multipliés sur toute la surface de notre pays.
Les mêmes registres fournissent une preuve complémentaire à l'assertion que j'ai précédemment émise sur la stabilité de la population erbréenne autour de ses pénates. Le nom des nouveaux baptisés, ceux de leurs parrains et marraines, ceux des époux qui se présentent pour la bénédiction nuptiale, sont en grande partie les mêmes que ceux encore portés aujourd'hui par les principaux habitants, nos contemporains.
Je citerai seulement les Gaultier, les Pouplin, les Handorin, les Manitz, les Ferron, les Augeard, les Gonillard, les Vignal, pour ne pas m'exposer à des répétitions fastidieuses.
Par divers autres documents dont j'ai pu avoir connaissance, j'apprends que charitable et discrète personne Françoise Gaultier, fonde une chapellenie de seize messes par an qui seront célébrées dans l'église de Saint. Martin d'Erbray, pour le repos éternel de ses parents défunts, ainsi que pour le bénéfice et service de la paroisse. Une année après, l'an 1617, Louise des Ridellières, épouse de Gilles le Picard, sieur de la Ville-Basse, lieutenant-général de la ville et château de Châteaubriant et, auparavant., veuve de Jacques de Kerboudel, également gouverneur de Châteaubriant, durant sa vie, fonde une autre chapellenie de deux messes annuelles dans la même église de Saint.Martin d'Erbray. Il existait une foule d'autres fondations aux Garellières, à la Morivière) aux Landelles à la Conillère, à la Touche, où dut être érigée de bonne heure, peut-être pour le service des lépreux une chapelle dédiée primitivement, paraît-il, à Ste-Geneviève de Paris et, aujourd'hui, à St-Barthélemy, apôtre. L'édifice actuel est fort étroit et assez moderne : on sait, avec quelle persévérance, feu M. Gobbé, avant dernier maire de la commune, essaya de le remplacer par une construction en rapport avec la beauté du site et surtout avec les besoins religieux de la population agglomérée sur ce magnifique plateau. En butte à des difficultés insurmontables, et contraint d'ajourner la réalisation de son désir, le sage et bon magistrat voulut au moins décorer de la croix l'emplacement que devait occuper l'oratoire qui aurait ouvert périodiquement ses portes aux exercices du culte, tels qu'ils y étaient pratiqués jadis.
Le chêne qui a servi à représenter en ce lieu le signe auguste du salut est digne de rappeler les beaux arbres qui faisaient jadis l'honneur des forêts d'Erbray. Il est fâcheux que les charpentiers chargés de le travailler en aient bien trop diminué la grosseur.
D’après une lettre pontificale déposée aux Archives de Loire Inférieure et datée de l’an 1403, Alain Stoquier licencié es lois et curé d'Erbray, fut informé et assuré de la prochaine collation soi d'une prébende dans une église cathédrale, soit d'un doyenné rural, à la première vacance devant se présenter dans les diocèses de Nantes ou d'Angers, Ce document montre que les moines de Marmoutiers, administrateurs primitifs du Prieuré d'Erbray, sous la protection et fondation des barons de Châteaubriant, hauts suzerains du lieu, avaient été remplacés de bonne heure. Aux termes d'une charte fameuse de Durand, évêque de Nantes, Erbray comptait en effet au nombre de nos paroisses dés l’an 1287 et même dés 1123 d’après une autre charte de Louis le Gros. C’est au Chapitre cathédral qu’était dévolue la présentation du Recteur.
Le corps de nos chanoines diocésains jouissait en même temps d'un droit de dîmes dans toute la circonscription d'Erbray. Si modéré qu'ait pu être l'exercice de ce privilège, il avait fini par devenir impopulaire et par tarir à peu près la source des vocations sacerdotales chez un peuple devenu quelque peu méfiant. Là, comme ailleurs, les abus de la commende, la froideur du jansénisme, l'impiété du XVII° siècle avaient quelque peu pénétré. Au reste, Erbray n'avait jamais été bien riche, car le roi de France, Charles IX, étant parti de Châteaubriant pour aller coucher au cbâteau de la Motte-Glain, passa, le 3 novembre 1565 par Elbret qui est un pauvre village, dit le Recueil du voyage du Roy, par A. Jouan.
Les murs grossiers de l'antique église étaient aussi loin de se recommander par l'élégance de leur architecture que par la bonne tenue de leur intérieur. Même avec la simplicité des habitudes rustiques d'une localité éloignée des foyers de la civilisation et de l'art, ce n'était plus la décence. Cette pauvreté n'empêchait pas les bonnes âmes de visiter fréquemment ce temple, d'y prier avec humilité et confiance : l'auteur des Histoires et Légendes du Pays de Châteaubriant en a donné, une belle preuve dans la biographie du Bon maître d'école d'Erbray, Jean Ménard.
Il faut rappeler qu'un cimetière regorgeant de tombes environnait et pressait ces pauvres murailles et que deux ifs très gros et tout creux y. témoignaient du grand nombre de siècles qui avaient vu là l'entassement continuel des cercueils. Ce fut, sans doute, sous l'impression causée par le spectacle quotidien d'un pareil tableau que messire Aubin Binot, recteur d'Erbray durant vingt-deux ans 1614-1636, inscrivit à la première page de l'un de ses registres le distique latin suivant que je suis heureux d'avoir découvert et que je reproduis, accompagné de sa traduction française :
Hic Spectator arlest ; memorare, Viator :
Mors est certa, brevis gloria, vita nihil !
Un œil te voit ici. Souviens-t'en, toi qui passes :
Bien certaine est la mort, éphémère la gloire,
Et néant la vie !
Je ne parlerai que pour mémoire des autres dépôts funéraires rencontrés par hasard en Erbray dans les affleurements du sous-sol.
En nivelant près de leur point de départ respectif, dans le bourg, la route actuelle de Châteaubriant et celle de Louisfert, les travailleurs mirent à jour de nombreux squelettes dont les ossements, bien loin de tomber en poussière, semblaient encore comme soudés par leurs jointures. On attribua cette conservation à la nature calcaire du terrain qui leur servait de lit ; à sa situation déclive favorable à l'écoulement des eaux. Pour en expliquer la provenance, on songea à un bourg primitif qui aurait été détruit par un évènement inconnu peut-être, par le contre-coup d'une invasion, comme celle des Normands; d'une guerre, comme celle de la Succession au duché de Bretagne; d'une épidémie, comme la fameuse et terrible Peste Noire qui moissonna le tiers des habitants de la Chrétienté, au XIV° siècle.
Une opinion plus rationnelle, peut-être, rappela une rencontre à main armée que les vieux récits des veillées rapportaient avoir eu lieu tout près d'Erbray, entre les catholiques et les protestants, au temps de Kerboudel, de Mercœur et de Juan d'Aquila, chef des bandes espagnoles envoyées par Philippe II, roi d'Espagne, au secours des Ligueurs de France. Il est certain que Juan d'Aquila s'est battu à Issé et dans les environs, comme Kerboudel au Bélouard de Beauchêne et Mercœur à St-Mars-la-Jaille, à Châteaubriant et à Derval. On se rappela que les premiers coups d'arquebuse de ce combat d'Erbray étant, au dire de la tradition, partis de la colline qui domine le village de l'Outre, à quelques pas de l'église paroissiale, le fort de la mêlée avait parfaitement pu s'engager au sommet d'en face, dans la direction du manoir de la Sauvagère. En cette hypothèse, rien de plus naturel que l'enterrement sur ce champ de bataille des champions tombés là, victimes de leur cause; de ceux surtout que leur attachement à une hérésie frappée d'anathème, faisait considérer comme indignes de la sépulture dans une enceinte consacrée Quelques cercueils en schiste ardoisier furent également découverts dans l'épaisseur des talus de fortification du double Châtellier d'Erbray au bord du chemin vicinal du Petit-Auverné. Ces cercueils étaient plantés debout au fond de leur logette. Une étrange superstition a fait conserver dans l'écurie de la ferme du même lieu une tête d'homme ou de femme trouvée presque intacte en l'une de ces bières.
A quelle époque attribuer ces sépultures ? A part la différence provenant de leur station verticale, il en a été plusieurs fois découvert d'analogues à Nozay, à Nort, et dans les carrières de St-Gilles, commune de St-Aubin-des-Châteaux, sans que rien ait pu permettre de déterminer exactement leur âge. Bien des circonstances portent à croire que les personnages ensevelis dans celles d'Er'bray vécurent au moyen-âge. Peut-être eurent-ils des rapports de parenté avec Pierre d'Erbray, mentionné dans un titre de 1150 avec Moïse d'Erbray, connu dès l'année 1049 et que je considère, ainsi que Ruellan d'Erbray, comme l'un des érecteurs ou restaurateurs de ces fameux châtelliers ?...
0n m'a enfin signalé tout près du village de l'Outre une autre tombe, inexplorée, jusqu'ici, mais que j'espère bien arriver à faire ouvrir. Elle consiste en un bloc mégalithique mis à nu par le rasement d'un tumulus qui gênait le passage de la charrue, il y a environ cinquante ans. Les efforts du cultivateur et des valets, ses domestiques, pour soulever ce dolmen étant demeurés infructueux, rien, par bonheur, rien n'a transpiré des secrets que garde cette tombe ; mais un sincère et fidèle ami qui en connaît l'existence et la situation se promet de réussir, en temps et lieu, à faire exhumer les amulettes, les anneaux ou les armes, soit du druide, soit du guerrier gaulois, qui a. dormi dans ce caveau sépulcral.
Malgré la rapidité de parcours que je me suis imposé, comment m'abstenir de signaler les fiefs principaux qui se partageaient le territoire d'Erbray !
Voici, quelques uns de ceux que M. Ernest de Cornulier énumère, par ordre alphabétique, en son Dictionnaire des Terres et Seigneuries du Comté nantais, comme existant à la date de 1428 : le Bois Jouan, la Cour Péan, le Châtelier, la Chauvelière Erbray, l'Etang-Payen, la Ferrière, la Franchetière, la Garenne, la Grée, l'Aunay-Pitrault, l'Onglée, la Malorais, la Mazzeliere, la Ville-Basse, Montjonnet, la Morivière, la Sauvagére, Villeneuve.
A la Cour-Péan se trouvait féodalement uni le Bourg-Gérard de Châteaubriant qui avait donné naissance à la redevance d'un repas que les potiers des Landelles, lit-on, devaient servir à Monsieur de la. Cour-Péan, soit sur la place St-Nicolas, soit à la grand-porte de l'église de Béré, le jeudi de l'Ascension. Cet usage a donné lieu a des contes charmants, où tient toujours place la fameuse cruche à sept becs conservée dans le vaisselier du château de la Morivière.
A la Ferrière fut longtemps unie la Coquerie dont la haute et basse-justice s'exerça, pour ce motif, pendant de longues années aux Landelles.
Montjonnet-la-Morivière avait fini par devenir la plus importante de ces seigneuries, en englobant peu à peu ses voisines et en profitant des facilités d'habitation qu'offrait sa gentilhommière relativement luxueuse, avec ses avenues, ses jardins, ses hautes toitures à la Mansard, ses vastes prairies…
Aujourd'hui, tout le va-et-vient des chasseurs et des belles dames a disparu. Plus de meutes, ni d'aboiements dans les bois. Mais, de paisibles laboureurs dans les champs, quelques ouvriers dans les taillis, au sein des airs des oiseaux vulgaires circulant avec lenteur autour d'un massif de murailles plus sombre encore et plus triste d'aspect que le plumage et le vol de ces hôtes obstinés des combles.
La Révolution de 1789 fit sentir sa secousse à Erbray d'une façon violente. Là, comme ailleurs, les passions surexcitées eurent leurs satellites, leurs héros et leurs victimes. Ce qui atténua le choc entre les idées nouvelles et les moeurs anciennes, ce fut le caractère naturellement peu démonstratif et pas le moins du monde enthousiaste de la population prise en son ensemble. Ce qui empêcha le mal de prévaloir et l'anarchie de durer longtemps. Ce fut la force des habitudes chrétiennes sérieuses et laborieuses, que la pratique et l'enseignement de la religion avaient implanté, de longue date, dans l'esprit des familles et dans le cœur des particuliers.
Aucun grand caractère, malheureusement, aucun esprit vraiment supérieur ne se dégage de la mélée. Depuis que le Pays de Châteaubriant avait perdu ses Barons résidents de mesquines jalousies entre les officiers chargés de représenter leurs héritiers, d'une part, et les administrations municipales, de l'autre ; des pratiques étroites et des vues sans portée, tant dans le mode suivi par les afféagements que dans le concours prêté l'aristocratie et par la fortune à l’agriculture locale, au commerce, et aux industries diverses, avaient fini par amoindrir les ressources du sol et paralyser les élans de la bonne volonté individuelle.
C’est pourquoi notre contrée en général et Erbray en particulier ressemblait à ces champs où le séjour prolongé des eaux détériore les semences et compromet la moisson. Les anciennes minières étaient presque abandonnées. La grande poterie des Landelles avait perdu de son importance. L'exploitation de la castine était devenue presque nulle. Quant à celle de la chaux, elle était bornée aux besoins de la construction : encore la maçonnerie se contentait-elle fort souvent du mortier de terre.
Les villageois accueillirent avec faveur l'abolition des dîmes et des corvées obligatoires, ainsi que la suppression des redevances féodales que la plupart ne pouvaient payer. L'émigration des nobles à l'étranger ne fit pas grand bruit parce que la plupart des familles seigneuriales depuis longtemps devenues sédentaires à Rennes, à Angers ou à Paris, durant la plus grande partie de l'année, y avaient contracté avec l'amour du plaisir et du luxe les sottes façons d'une morgue hautaine, le dédain du pauvre et l'habitude de tenir les vassaux à distance. Mais, lorsque la Constitution civile du Clergé eut ajouté aux nombreux ferments révolutionnaire introduits par les Etats-Généraux la perturbation profonde que ses décrets anarchiques et anti-hiérarchiques jetaient dans les consciences, il y eut un mouvement général de colère et de protestation.
Au bourg d'Erbray, comme sur tous les points de la paroisse, l'indignation fut à son comble quand un prêtre intrus, nommé Marteau arriva de je ne sais où, avec comme mission de remplacer le Recteur et de prendre possession de l'église.
Le pasteur légitime, M. Grigné, avait refusé le serment d'adhésion au schisme.
Soutenu par son vicaire, M. Durousseur, et protégé par les paroissiens, il tint tête à l'orage, tout en s'abstenant de participer aux prises d'armes qui agitaient bon nombre de têtes. Mais le déchaînement des passions suivit son cours; la chouannerie royaliste s'organisa et le soulèvement eut lieu, avec le fameux Terrien, dit Cœur-de-Lion, pour chef des insurgés d'Erbray et du voisinage.
Ce Terrien était né dit-on, à Louisfert. Collecteur d'impôts, il avait emporté sa caisse qu'il considérait comme le bien de Louis XVI et la solde légitime des défenseurs de son trône. Personnellement ennemi du brigandage et de la violence arbitraires, il aurait voulu soumettre ses hommes à quelque discipline. Leur inintelligente brutalité l'en empêcha. Son adversaire politique à Erbray fut Christophe-Roland Guibourd, chargé des fonctions d'officier de l'état-civil, de 1793-1799. Ce magistrat rendit de grands services par sa fermeté. Mais que la sagesse est peu écoutée dans les temps de fermentation.
Jamais, on ne saura combien de vengeances personnelles et d'abominations de tout genre s'abritèrent alors sous l'emblème des principes que l'on mettait en avant. A peu près, partout, la noble cause que défendaient des hommes véritablement pénétrés de convictions généreuses fut indignement souillée par le pillage et par l'assassinat. Le malheureux Marteau fut une des victimes, mais celui-là ne l'avait pas absolument volé, car il passait pour dénonciateur, était regardé comme traître à son Dieu et à son sacerdoce et personnifiait l'oppression des âmes, dans leurs intérêts et leurs besoins essentiels.
On raconte que les royalistes ayant été surpris au château de la Motte-Glain, au moment d'une fête, le copieux repas qui les attendait régala leurs adversaires, mais que les partisans mis en fuite dans la matinée, étant revenus de leur panique, recomposèrent leurs rangs, tombèrent sur les vainqueurs gorgés de viandes et de boissons, en tuèrent plusieurs dans un combat qui eut lieu non loin de la Bergeaudais et que, s'étant emparés de la personne de l'intrus, ils le massacrèrent, sans lui laisser d'autre répit que le temps de faire son acte de contrition. M. Gobbé, maire de Louisfert avait été mis à mort en des circonstances infiniment plus odieuses : représailles sanglantes qui plongèrent le pays dans la terreur et forcèrent M. Grigné à s'éloigner d'Erbray. Il partit pour l'Espagne où la mort ne tarda pas à l'atteindre. Son vicaire, alla chercher asile à Jersey d'où il revint après les mauvais jours, comme l'oiseau après la tempête, pour relever les ruines du sanctuaire qui avait eu les prémices de son sacerdoce.
Cependant, la troupe était venue s'établir comme en permanence à Erbray. Les garnisaires avaient comme mission de pourvoir au maintien de l’ordre et à la sécurité des personnes. Ils devaient surveiller les rebelles et serrer étroitement Terrien. Celui-ci, sans le souci du péril, portait l'effroi un peu partout, principalement dans le cœur assez peu héroïque des républicains de cette époque lamentable.
Comme le corps de garde était logé dans l'église, que les cavaliers, par dérision, s'amusaient ci couvrir l'autel de bottes de foin et à attacher à la Sainte Table le licou de leurs chevaux, des hommes de cœur s'entendirent pour descendre nuitamment celle des cloches que l'on n'avait pas encore brisé pour en faire des balles ; ils la déposèrent au fond d'un puits, montèrent en sa place quantité de fagots bourrés de paille, mirent le feu au tout et incendièrent ainsi le clocher.
Leur trait d'audace avait pour but de débarrasser le chef-lieu de la commune des profanateurs de la Maison Sainte. Malheureusement, ce calcul n'aboutit qu'a réduire les habitants à la nécessité de recevoir chez eux les soldats, de loger et de nourrir leurs montures, ce qui les portait à détester et haïr le régime gouvernemental en exercice. Aussi quand, à l'aurore du nouveau siècle, apparut une administration réparatrice ; quand on vit le premier Consul apporter la paix et le Concordat, les gens d'Erbray, autant et plus que le reste des populations de notre Arrondissement, s'attachèrent à l'homme de génie qui rouvrait les temp1es, après d’éblouissantes victoires. Ils entrèrent en foule dans ses armées.
A la bataille de Dresde, le 27 août 1813, ce fut un brave enfant d'Erbray, Julien Letort qui pointa l'artillerie qui, sur la désignation personnelle de Napoléon lui-même, dirigea son boulet sur un officier de l'état-major ennemi que son uniforme et son cheval blanc désignaient à la mire des Français et d'un coup parfaitement ajusté, abattit le fameux général Moreau. L'Empereur décora, sur le champ même et de sa propre main l'auteur de l'exploit. De retour dans ses foyers, avec des états de service qui sont une épopée, Julien Letort habita longtemps la Sauvagère, en Erbray, où il eut l'honneur en 1842 de recevoir la visite de Mgr de Hercé, l'un de ses vieux compagnons d'armes, devenu son évêque et resté son ami. Ce héros est mort vers 1846 et a été enterré dans le vieux cimetière. Si étrange que paraisse le fait d'armes qui a fait sa gloire, il a pour garant de son authenticité toute la population d'Erbray.
Le siècle qui va finissant son cours a été pour Erbray une ère d'amélioration.
Au point de vue religieux, l'ancienne église a été remplacée par un, monument digne de son auguste destination. Au point de vue matériel, les fours à chaux ont acquis une extension que personne n'aurait soupçonnée. L'agriculture locale a été la première à en profiter et l'aisance publique s'en est notablement accrue. Au point de vue esthétique, le bourg a été transformé par la création d'une belle place, la construction de maisons élégantes, L'ouverture de routes formant étoile et rayons en sens divers.
Un bureau de bienfaisance a été constitué, ainsi que deux maisons d'école tenues : celle des garçons par un instituteur véritablement émérite ; celle des filles par des religieuses qui unissent à la vigilance pour l'instruction le soin pour le développement chez leurs jeunes élèves des qualités indispensables à l'éducation de la femme. Un tramway, chemin de fer à voie étroite, traverse la commune de part en part y facilite les communications, les transports, le progrès.
Enfin, au point de vue scientifique, les géologues ont découvert, au fond des entrailles de ce vieux sol d'Erbray, un vrai trésor de formations et de pétrifications préhistoriques. La faune en a été exposée dans un magnifique et savant volume dont, avec le concours d'un spécialiste, je serais heureux de présenter l'aperçu sommaire.
Réunir en quelques pages l'histoire et le tableau de ces diverses restaurations, signaler à la reconnaissance le nom des hommes qui ont exécuté ces travaux, ce sera terminer la tâche que je me suis imposée dans ce parcours bien trop rapide et bien trop insuffisant d'Erbray à vol d'oiseau.
La pacification religieuse eut lieu à Erbray, comme en un grand nombre de nos localités rurales, antérieurement à la conclusion du Concordat. Bonaparte, nommé premier Consul par la Constitution de l'an VIII, se fit un devoir et un besoin politique de fermer les plaies de la guerre civile. Il laissa le clergé catholique reprendre insensiblement la direction des âmes. Ce fut un digne ecclésiastique nommé Martin qui remplit les fonctions de desservant dans la paroisse dont j'esquisse l'histoire. Ce nom de Martin était de bon augure en cet Erbray dédié depuis longtemps au thaumaturge qui s'immortalisa par l'abolition du culte payen des chênes en cette Gaule chevelue et forestière que rappelait l'Arbriacum de nos chartes du moyen âge.
Bientôt l'abbé Durousseur put rentrer en France. Fortifié par l'épreuve et guéri de toute ambition par l'adversité, il accepta volontiers la direction spirituelle des ouailles qu'il avait évangélisées dans sa jeunesse. La réforme des mœurs, l'instruction religieuse, le développement de l'esprit chrétien dans la jeunesse eurent le principal de ses soins. Quant aux ruines matérielles, il étaya de son mieux les plus croulantes. Il se privait du nécessaire, se contentait de l'indispensable, soutenu dans cette vie d'abnégation par l'exemple des prêtres, ses voisins de paroisses les Defermon, les Deluen, les Perchais, les Orain, vénérables confesseurs de la foi, eux aussi, et dévoués avec une abnégation non moins significative aux besoins de leur troupeau. Ce sont là des souvenirs que le pays ne doit point oublier.
Un évènement malheureux se produisit en 1824, sous l'administration d'un remplaçant de M. Durousseur. A la suite d'une plaisanterie offensante, l'homme ]e plus considéré d'Erbray, M. de la Biochais, accepta un duel aux environs d'Ancenis et fut mortellement atteint par l'épée de son adversaire. Toutefois, il eut le temps de se faire transporter à sa demeure de la Sauvagère et le bonheur de faire acte de repentir, avant d'expirer.
Rien d'extraordinaire encore ne s'était produit en faveur des intérêts matériels, lorsqu'un jour on vit un étranger parcourir le champs de la partie orientale de la commune d'Erbray en demandant l'autorisation d'y pratiquer des sondages. Venu des environs de Craon, il annonçait l'intention d'acheter à bon prix ces terres. On suivit ses recherches avec un intérêt mêlé de défiance. Enfin, voilà ce Monsieur propriétaire d'une concession. Il y fit construire un four à chaux, employa des ouvriers à l'exploitation en grand d'une carrière dont il faisait traiter par la cuisson au charbon de terre les matériaux extraits. On voulut bien se livrer à quelques essais sur l'utilité agricole de la pierre ainsi traitée. Peu à peu l'expérience parla, les préjugés cédèrent, les intérêts comprirent. Il fallut agrandir la carrière, multiplier les fours, allonger les routes de débouchés et d'abords, installer des appareils, un grand roulage…. Notre Arrondissement voyait la. transformation d'une industrie qui n'avait guère fait que végéter jusqu'alors entre des mains trop peu hardies pour se livrer à des opérations en grand.
Quant à Erbray, d'épais nuages de fumée se détachaient nuit et jour sur l'horizon, annonçaient à toute la contrée qu'un second élément de fortune allait doubler l'importance du pauvre village signalé par Abel Jouan, dans l'Itinéraire de Charles IX. C'est à l'intelligence de M. Henri Denys et de ses enfants, à la collaboration et propagande actives do MM. Auguste Leroux, St-Fort, de Francy, etc., que nos champs étaient redevables de l’élément réparateur qui a, depuis plus quarante ans, doublé leurs produits.
Signalons la part que prirent à cette amélioration des richesses foncières de notre sol, tant à Erbray que dans le voisinage les familles Augeard, Gobbé,. Gazille, Le Neil, Binet, M. le comte Auguste de Boispéan, MM. de la Pilorgerie, Rieffel, l’abbaye de Melleray, les comices agricoles de Nozay - Dorval, Châteaubriant, etc.
Au moment où les foyers do nos grandes forges et fonderies de fer allaient s'éteindre sous l'action désastreuse des traités de commerce du second empire, nous recevions de la Providence tutélaire une sorte de compensation.
D'après un dicton fréquemment prononcé à Erbray, la chaux apporte toujours sa cuisson avec elle. Quelle est la valeur de cet adage ; quelle est sa portée ? C'est aux hommes du métier à s’en rendre compte ; mais, si l'expérience a prouvé que cette expression s'est constamment appliquée jusqu'ici au combustible fourni par le bois, il serait présomptueux de rejeter, de parti pris et sans, examen, l'opinion qui l'appliqua à la houille et à l'anthracite.
Plus d'une induction porte à croire que ces deux substances ont en Erbray et aux alentours des gisements susceptibles d'exploitation. Le pic en a rencontré des traces en creusant des puits à la Bergeaudais et aux Landelles. La forêt Pavée, vieille comme le monde, et traversée jadis par des voies lointaines d'exploitation et de communication, recèle des trésors inexplorés ou tombés en oubli. N'est-il pas évident que ses couches végétales sous lesquelles la cognée seule a passé depuis la venue des premiers hommes en nos contrées sont superposées à d'autres couches enfouies sous les futaies actuelles par l'incessante action des siècles et par les révolutions continuelles du globe.
En creusant un puits à Louisfert sur le petit sommet qui a conservé au milieu du bourg sa dénomination significative et gallo-romaine de l'Estrat, venue du mot latin stratum (place publique), on a retiré, il y a trente-cinq ans, une substance bitumineuse qui brûlait parfaitement dans la fournaise d'une petite forge. Cette matière n'était pas à dix-huit mètres de profondeur. Or le terrain qui l'a fournie est un prolongement de la ligne de la Bergeaudais aux Landelles, à l'autre extrémité do la forêt Pavée et pas loin de l'antique chemin du Pavé mentionné comme limite de déboisement dans un vieux titre de partage que j'ai en ma possession. On sait par ailleurs que les bassins houillers découverts en 1836 par les ingénieurs du Gouvernement dans le Bocage vendéen, pays si semblable au nôtre par son aspect et par ses productions, n'apparaissent que sous des perforations de vingt et quelques mètres. D'où, ce me semble, il est bien permis de conclure que des fouilles persévéramment et intelligemment conduites améneraient sous nos pieds la découverte de richesses foncières non moins précieuses pour notre époque industrielle que ne le furent successivement pour nos ancêtres : le bois, le fer, la vigne, le pommier, le lin, les laines, le blé, le fourrage et la multiplication des animaux domestiques.
Si la lenteur proverbiale des Bretons à entrer en initiative est aussi apparente à Erbray que dans le reste de notre Arrondissement, elle s'empresse de se rendre à l'évidence aussitôt qu'elle aperçoit que son intérêt est en jeu.
L'un des curés de cette commune qui fut, je crois, M. Loirat, habitué à voir autour du lac de Grand-Lieu,. son pays natal, de beaux champs de froment apporter des épis superbes, essayait en vain de propager parmi ses paroissiens la même culture. Il se heurtait à une routine obstinée. Personne n'entendait renoncer au seigle qui, pour je ne sais quel motif, avait la préférence du métayer. En désespoir de cause, le pasteur fit venir à ses frais quelques sacs de sa céréale préférée. Il la fit mettre en terrain à ses frais, prit le plus grand soin du labour et obtint un rendement extraordinaire. On ne lui avait pas ménagé les plaisanteries, mais le résultat intervertit les rôles et chacun s'empressa de venir à cure acheter de cette nouvelle semence. Elle ne fut livrée qu'à beaux deniers comptants, ce qui ne l'empêcha pas de porter et de propager ses fruits.
Actuellement le seigle conserve encore à Erbray, ainsi que dans le reste de notre région, la dénomination commune de blé, en preuve de la généralité de sa culture durant une période immémoriale de temps. Mais c'est à peine si l'on en rencontre çà et là quelques sillons aménagés pour les avantages que procure sa belle paille et pour des besoins accidentels dans l'élevage du bétail. Le secours de la chaux, comme engrais, vint opportunément concourir à l'amélioration provoquée par l'initiative du curé Loirat.
Cependant le prestige et la gloire n'arrivaient pas par le même chemin que tous ces progrès. Je ne sais quelle malignité jalouse et quelle étroitesse de vues avaient presque réussi à ranger la paroisse au nombre de ces bourgades peu considérées ou de ces centres industriels peu accessibles à l'influence du prêtre et dont un ecclésiastique aime, en général, assez peu se voir chargé. Les habitants s'en aperçurent et finirent par s'en exprimer sans détour. Si cette franchise ne réussit pas à fermer la bouche aux moqueurs, elle aboutit du moins à obtenir ce que demandaient les fidèles, c'est-à-dire un curé capable de répondre à leurs aspirations et à leurs besoins.
M. Etienvre, né à Derval, avait été formé à la vertu par les leçons et par les exemples du vertueux et rigide abbé Orain en qui, disait-il, on ne pouvait s'empêcher de reconnaître quelque chose d'extraordinaire. Sous des dehors presque rustiques, il cachait, lui-même, une intelligence pratique assez développée, beaucoup de bon sens et un dévouement absolu aux obligations de son ministère. De prime abord, il plut à la population d'Erbray.
C'était le temps où commençait à s’épanouir dans le diocèse le goût de l'architecture ogivale dans la reconstruction des églises. Sous la propagande exercée au Petit-Séminaire de Nantes par les leçons d'archéologie de l'abbé Rousteau, sous l'active impulsion du curé de St-Nicolas de la même ville, M. Fournier, devenu depuis notre évêque, on appréciait la beauté grandiose et le cachet tout hiératique du style appliqué par les grands artistes du moyen-âge non seulement aux cathédrales mais aux moindres chapelles et aux moindres décorations religieuses. M. Etienvre qui était à même d'en voir à St-Julien-de-Vouvantes un spécimen remarquable dans la ravissante église du XV° siècle que l'on a commis la faute de jeter par terre, M. Etienvre profita de sa popularité pour en procurer à Erbray une identique.
Il trouva le plus bienveillant concours dans son. Conseil de fabrique et dans le Conseil municipal. Le maire de la Commune, M. Gobbé, mit au service de l'entreprise l'influence incontestable et incontestée dont il jouissait et dont il était digne. Non content d'aplanir les difficultés qui auraient pu surgir du chef de l'autorité qu'il représentait, il marcha spontanément de l'avant, fit accepter des intéressés et exécuter à. des conditions avantageuses la vente des communs et des landes du Fourneau et de la Feuvrais appuya de tout son pouvoir les transactions avec l'architecte, M. Liberge, avec l'entrepreneur, M. B...
Cette heureuse entente permit de faire marcher les travaux fort vite.
En moins d'un an, se trouva bâti, depuis le fond du sanctuaire jusqu'à la pointe du clocher, un temple de fort bon goût, capable de suffire aux besoins du culte et d'honorer aux yeux des étrangers la population qui témoignait de ses croyances par un tel trophée. La dépense avait atteint la somme relativement modique de cinquante-trois mille francs. Elle fut payée rubis sur ongle et gréva si peu les budgets locaux que l'on ne tarda pas à y trouver des ressources pour de nouvelles entreprises.
Ainsi, M. Jean Ménard ayant libéralement donné un terrain pour le nouveau cimetière, la Mairie put entourer de bons murs et orner de belles plantations le nouvel asile des morts. Un agent-voyer de talent, M. Nagayski, polonais d'origine, devenu citoyen d'Erbray par son mariage avec Mlle Denys, ayant tracé au compas le plan d'un nivellement de la Place, avec point commun de convergence pour plusieurs routes rectilignes qu'il proposait d’y faire aboutir, réussit à faire exécuter sur le terrain ce qu'avait indiqué son crayon. La maison d'école des garçons, avec chambre spéciale pour les séances du Conseil municipal et habitation pour l'Instituteur et sa famille vint ajouter à ces embellissements. Le Curé seul s'oubliait un peu, en se contentant de la maison plus que modeste que lui avait légué la pauvreté des anciens jours. Cependant, comme la reconstruction de l'église lui avait enlevé une partie de sa cour, il réussit à obtenir, par compensation, un bout de mur pour son jardin.
Ce fut en ces conjonctures, que les intéressés essayèrent la fondation au village de la Touche de la succursale dont il a été précédemment question.
La Touche est éloignée de quatre kilomètres du chef-lieu de la paroisse. Ce n'est pas un hameau, c'est une agglomération considérable et qui grandit tous les jours en importance. Située au croisement de deux routes, sur un plateau où l'air est très pur, à quelques pas d'un bel étang et près de l'ombrage de l'une des vieilles chênaies qui abritaient autrefois tant de villages en Erbray, elle a commencé, paraît-il, par être le siège d'un hôpital ou d'une léproserie. Cette origine remonterait aux temps où nos valeureux barons, chargés par les comtes de Nantes de la fortification du fragment de frontière bretonne indispensable à notre défense du côté de l'Anjou, organisaient autour de leur citadelle de Châteaubriant, chef-lieu du pays de la Mée, les services divers qui incombent à la responsabilité d'un chef de district. Personne n'ignore qu'il a été démontré par les feudistes que les landes, telles que celles qui avoisinent la Touche, étaient alors sans population et sans culture. Aussi, à l'époque de la fondation de nos bourgs et prieurés paroissiaux, on songeait peu aux distances qui, plus tard, sépareraient de leur clocher les habitants de ces déserts.
Mais, avec le temps, de nombreuses familles sorties de la vallée d'Erbray étant venues s'échelonner sur les hauteurs qui s'en éloignent vers le nord, la Providence avait pourvu à leur service religieux par la fondation de petits oratoires dans le voisinage. Outre celui de la Touche même, il y en avait un à la Feuvrais, un à St- James, un à Beauchène, un à l'Abbaye, etc. Mais l'affaiblissement de la foi, l'esprit de centralisation administrative, les orages de la Révolution finirent par les annuler. Il en résulta beaucoup de gêne pour cette importante section d'Erbray.
Pour y remédier, on espéra dans la condescendance bien connue de Mgr. De Hercé pour les vœux légitimes des populations éloignées de leur centre. On compta que la Touche pourrait obtenir ce qui avait été accordé à la Grigonnais, à la Chevallerais, etc. M. Gobbé à qui son habitation sur les lieux-mêmes permettait d'apprécier personnellement l'état des choses voulut bien prendre la direction du mouvement. Mais en vain multiplia-t-il pas et démarches. Ses efforts n'aboutirent qu'à l'insuccès.
Les évènements de 1870-71 l'amenèrent à donner sa démission. Son successeur intérimaire à la Mairie, M. Eugène Denys, installa comme institutrices communales à Erbray les religieuses de la Salle de Vihiers. Peut-être, le bâtiment destiné à les recevoir fut-il trop somptueux. On prétendit que les deniers municipaux y avaient été prodigués. Le bon père Gobbé dut reprendre son écharpe.
De son côté, M. Etienvre avait à souffrir. Intrigues et calomnies l'assiégeaient.
Victime enfin d'un outrage immonde, il imita non pas seulement les héros antiques mais les Saints et s'en alla spontanément, noble proscrit de l'infortune, demander au manoir du Bois-Péan, en Fercé, un asile qui lui fut généreusement offert et où il mourut.
En 1883, l'état-major du ministère de la Guerre ayant désigné notre arrondissement pour théâtre aux manœuvres du XI° corps d'armée, le colonel d'Arbo qui connaissait à fond les environs de Châteaubriant et d'Ancenis remporta un triomphe hors ligne dans la défense du fameux plateau de Beauchêne. Il y arrêta d'une façon si nette et si inattendue l'envahisseur simulé que la supériorité démontrée en cette circonstance par le vaillant officier alla, dit-on, jusqu'à blesser l'amour propre de ses chefs, moins complètement initiés aux ressources stratégiques de notre pays.
Il n'est pas besoin, du reste, d'un puissant coup d'œil militaire pour se rendre compte de l'avantage qu'il y a pour un soldat à étudier à fond, comme, l'avait fait M. d'Arbo, cette forteresse naturelle de Beaucbêne, dominant de trois côtés une vallée immense qu'entrecoupe un dédale de ravins, que couvrent des bois semés de fondrières, des terres labourées ceintes de baies épaisses, des prairies dessinées en contours bizarres, sous la profusion du feuillage et des épines qui les enserrent : tout cela prolongé à perte de vue, sous un horizon qui laisse apercevoir onze clochers.
Elle était plus redoutable avant la réunion de la Bretagne à la France, alors que des remparts multiples : châtelliers, mottes féodales, refuges et boulevards de tout genre, élevés par l'art militaire du temps, lui servaient au loin comme d'avant postes.
J'ai dit qu'un tramway traverse de part en part le territoire d'Erbray. Etabli par une intelligente Société, il n'a que le défaut de s'arrêter à St-Julien-de- Vouvantes, au lieu de filer jusqu'à Candé.
J'ai dit quo les géologues ont découvert dans les profondeurs des carrières d'Erbray des formations d’insectes et d'animaux d'une grande rareté. Les spécialistes pourront s'en convaincre en étudiant la Faune du Calcaire d'Erbray (Loire-Inférieure) : œuvre monumentale publiée à Lille,sous les auspices de la Société géologique du Nord, par M. Charles Barrois, avec collaboration de MM. Davy, Lebesconte, et de Tromelin, nos compatriotes, et en partie, sur les données de l'abbé Goudé, l'opportun fondateur du musée de Châteaubriant; en plus grande, partie sur les travaux antérieurs de Fr. Cailliaud, de Nantes.
La crainte d'abuser de la patience du lecteur, de justes égards pour la modestie des vivants, m'empêche de prolonger cet écrit. Les omissions ou les erreurs n'y ont point été calculées. Que l'on veuille bien me les pardonner. Je serais heureux si je puis contribuer à faire aimer et apprécier, surtout par ses habitants le bon et beau pays d'Erbray.
ABBÉ J. COTTEUX
Aumônier de la prison de Châteaubriant
[ Curriculum vitae de l'abbé Cotteux d'après l'information du Service des Archives de l'Evêché de Nantes :
Jacques Cotteux est né à Louisfert (44) en 1835, il est ordonné prêtre en 1860. Il est ensuite professeur au petit séminaire des Couëts. Il est nommé vicaire à Vieillevigne en 1863, à Vritz en 1967, en 1868 à Saint-Jacques de Nantes. La même année, il est "prêtre libre", c'est à dire sans charge pastorale, à Louisfert. Ensuite il est nommé aumônier de la prison à Châteaubriant en 1886. Il est de nouveau "prêtre libre" en 1893. Il décède le 3 septembre 1905 à Louisfert à l'âge de 70 ans. ]